Voici en bref, l’historique du dialecte Djidjelien d’après l’auteur Philippe Marçais.
A vous, cher(e)s internautes d’apporter vos remarques et critiques sur cet article.
A vos "claviers" !
Le dialecte djidjelien est un dialecte arabe algérien parlé dans la wilaya de Jijel, au Nord-est du pays. Parlé aussi (mélangé) au nord de la wilaya de Mila et à l'ouest de la wilaya de Skikda.
Il se distingue par une prononciation aigüe des lettres « qaf » et « kaf », ainsi que par l'élimination de nombreuses consonnes arabo-berbères lourdes telles que le « dh » et le « th » et par l'usage des particules « ḥa » (un, une), « di » (de), « d » (c'est, ce sont) et « ka » (modal placé devant les verbes au présent) et contient de nombreux emprunts au Berbère ainsi que quelques emprunts à l'Italien et au Turc.
Il fait partie des dialectes arabes maghrébins pré-hilaliens, c'est-à-dire issus de la première vague d'arabisation survenue aux cours des VIIe et VIIIe siècle et était autrefois parlé dans tout le triangle Constantine-Collo-Jijel bien qu'il ait bien régressé depuis au profit des dialectes hilaliens (issus de la deuxième vague d'arabisation, celle survenue au cours du XIe siècle et caractérisés entre-autres par la prononciation du « q » en « g » ) et il n'en subsiste que quelques traces imperceptibles dans le dialecte constantinois.
Histoire et origines
Suite à la première conquête musulmane du Maghreb au VIIe siècle, quatre centres urbains ont émergé : Kairouan, Constantine, Tlemcen et Fès et chacun de ces centres était relié à deux ports sur la méditerranée (Collo et Jijel dans le cas de Constantine) et c'est au sein de ces quatre triangles (ville intérieure / port / port) que les premiers parlers arabes maghrébins se sont développés, dialectes qu'on appelle aujourd'hui pré-hilaliens (car ils datent d'avant l'arrivée des Banu Hilal au XIe siècle) et qui partagent plusieurs caractéristiques communes, notamment la confusion des genres à la deuxième personne du singulier (nta, nti ou ntina utilisés pour les deux sexes), le remplacement des consonnes Arabes interdentales (prononcées avec la langue entre les dents, comme « th », « dh », etc.) par des consonnes plus légères, l'altération du « t » en « ts » ou « tch », et l'usage de modaux devant les verbes au présent (ta, ka, ku, etc.) afin de différencier le présent du futur (les deux temps ont la même conjugaison en Arabe).
Les Orientaux venus au VIIe siècle étaient des citadins, ils se sont installés à Constantine, Collo et Jijel et leur langue s'est propagée parmi les Berbères le long des axes reliant ces trois villes entre-elles, où elle s'est enrichie de mots et de phonétique berbères. En revanche, les Arabes nomades (les Banu Hilal, Banu Sulaym..etc) entrés au Maghreb au XIe siècle n'ont pas pénétré en petite Kabylie (région de Jijel et de Collo) du fait qu'elle soit une région montagneuse, densément peuplée et de climat inapproprié à leur mode de vie bédouin entre autres raisons, ça a permit à la région de conserver son dialecte pré-hilalien, et durant les siècles qui suivirent c'est l'enclavement géographique de la petite plaine de Jijel, entourée de montagnes et difficile d'accès, et donc la faiblesse des contacts avec l'intérieur du pays qui a permit de préserver le dialecte djidjelien des influences hilaliennes des hauts-plateaux.
Les dialectes pré-hilaliens des wilayas de Jijel et de Tlemcen ainsi que ceux du Maroc subsistent à ce jour et sont toujours très similaires les uns aux autres, contrairement à ceux de Kairouan et de Constantine qui ont maintenant pratiquement disparu, remplacés par des dialectes hilaliens, dialectes qui sont aujourd'hui parlés dans la majeure partie de l'Algérie, de la Tunisie, de la Libye, du Sahara occidental et de la Mauritanie (en revanche les dialectes marocains sont des mélanges des deux genres mais avec une part pré-hilalienne non négligeable).
Sources :
- Philippe Marçais, Le parler arabe de Djidjelli (Nord constantinois, Algérie), Paris, Librairie d'Amérique et d'Orient (Publications de l'Institut d'Études Orientales d'Alger, XVI), 1952, 648 p.
- Philippe Marçais, Textes arabes de Djidjelli. Introduction. Textes et transcription. Traduction. Glossaire, Paris, Presses Universitaires de France (Publications de la Faculté des Lettres d'Alger, XXVI), 1954, 240 p.
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Le dialecte Djidjelien - Ses particularités -
Cher(e)s internautes, je vous soumets ce deuxième article qui traite des particularités linguistiques du dialecte Djidjelien par rapport à tous les autres dialectes algériens. Cette particularité est la conséquence d’un brassage entre les langues berbère millénaire, arabe des citadins pré-hillalien (VIIe et VIIIe siècle), Italienne (Génoise et Pisane), Espagnole, Turque et plus récemment Française.
Texte proposé et adapté par Noufi
1- Prononciation
Le dialecte djidjelien possède une certaine phonétique (accent) qui lui est propre, qu'on ne peut malheureusement transmettre ici par écrit. Il possède aussi une prononciation altérée de certaines consonnes de l'arabe algérien et en voici les principaux exemples:
- le dhal (ﺫ) est prononcé dal (ﺩ), exemple : dib : loup.
- le dhad (ﺽ) est prononcé Ta (ﻃ), exemple : mrit : malade.
- le tha (ﺙ) est prononcé tsa (ﺗﺲ), exemple : tsum : ail.
- le ta (ﺕ) est prononcé tsa (ﺗﺲ) exemple: tsmer : dattes.
- le Dha (ﻈ) est prononcé Ta (ﻃ), exemple : nwater : lunettes.
- le V issu des mots français est transformé en B, exemple : serbita : serviette.
- le qaf (ﻕ) est prononcé kaf (ﻙ).
- le kaf (ﻙ) est très accentué (différent du kaf tel qu'il est prononcé dans d'autres régions) et par endroits prononcé tcha.
- le L est éliminé lorsqu'il précède un B et ce B est renforcé, exemples : « chien » se dit « kebb » et non « kelb », cœur se dit « qebb », « la porte » c'est « ebbab » et non « el bab », la mer c'est « ebbhar », etc.
- le L est également éliminé lorsqu'il précède un M, et ce M est renforcé, exemples : « l'eau » se dit «emma» et non «el ma», « la mort » se dit «emmout», « la femme » c'est «emmra», etc.
- enfin, le L est aussi éliminé lorsqu'il précède un Q et ce Q se dédouble, comme pour les cas précédents, exemples : « la bouteille » se dit «eqqerεa» au lieu de «el qerεa», « le cœur » c'est «eqqebb».Etc.
S'agissant des voyelles, certaines sont souvent modifiées, comme le son "ou" qui est éliminé dans beaucoup de mots, exemples: "pain" se dit "khebz" et non "khoubz" , "logement" se dit "sekna" au lieu de "soukna"..., et les terminaisons possessives "koum" et "houm" sont toujours prononcées "kem" et "hem", exemples: "leur maison" se dit "darhem" et non "darhoum" , "votre pays" se dit "bladkem" , "où êtes vous?" : fayen rakem? , etc.
2- Mots interrogatifs
Mais ce qui est typiquement spécifique à Jijel, ce sont les mots interrogatifs. On ne les retrouve pas dans cette forme dans les autres dialectes semblables ni à Tlemcen ni au Maroc et même pas aux environnants proches de Jijel, en voici la liste complète:
Diyyech? Quoi?
Dechdi? Qu'est ce que?
Kifech? / kich? Comment?
Dama? Quel? / Quelle?
Dama hua? / dama hia? Lequel? / Laquelle?
Qeddech? Combien?
Fayweq? Quand?
Ɛliyyech? Pourquoi?
Menhu? Qui?
Fayen? Où? (à quel endroit?)
Layen? Où? (dans quelle direction?)
3- Conjugaison des verbes et modaux
La conjugaison dans ce dialecte se distingue de la conjugaison dans le reste de l'arabe algérien par deux caractéristiques principales: la confusion des genres (masculin et féminin) à la deuxième personne du singulier et l'usage de modaux devant les verbes au présent.
Traditionnellement à Jijel on dit "nta" pour un homme ou une femme et on s'adresse aux deux sexes au masculin. Et même si certains disent maintenant "nti" pour une femme, la conjugaison quand à elle, reste au masculin, exemples: nti jit (tu es venue), nti klit, nti khdemt.., nti ku techri (tu achètes), nti ku tetmeskher, nti kul (manges!), nti eqra (lis) ... etc.
L'autre caractéristique importante de ce dialecte est bien sûr l'usage d'un modal devant les verbes au présent, ce modal est différent selon le pronom personnel, il prend la forme de Ku (prononcer Kou) à la première et à la deuxième personne du singulier et du pluriel et la forme Ka à la troisième personne du singulier et du pluriel.
Illustration avec le verbe "manger":
Ana ku nakel, Hna ku naklu
Nta ku takel, Ntuma ku taklu
Hua ka yakel, Huma ka yaklu
Hia ka takel
Enfin, le verbe être dans sa conjugaison simplifiée n'a pas la même forme que dans l'arabe algérien le plus répandu qui est de la forme : ani, ak, aki, aw, ay, ana, akum, am), en djidjelien il est encore plus simplifié puisqu'il prend la forme "aw" à toutes les personnes sauf pour hia et huma.
Illustration avec l'adjectif "grand":
Ana aw kbir, Hna aw kbar
Anta aw kbir, Ntuma aw kbar
Nti aw kbira, Huma am kbar
Hua aw kbir
Hia ay kbira
4- Adjectifs à base verbale
Le adjectifs, contrairement aux verbes, sont toujours féminins pour les femmes et masculins pour les hommes, comme dans le reste de l'arabe algérien, ainsi pour une femme on dit "nti mliḥa" ou "nta mliḥa" et pour un homme on dit "nta mliḥ"; de même pour les adjectifs qui ont une base verbale (basés sur un verbe) et qu'il ne faut pas confondre avec des verbes, la règle de conjugaison du féminin en masculin à la deuxième personne du singulier ne s'applique donc pas à eux, exemples: nti rayḥa , nti kheddama , nti jayya , ..Etc.
5- Particules « ḥa », « d » et « di »
La particule " ḥa " (ﺣﺎ) signifie «un» ou «une», elle est issue du mot arabe « waḥed» qui signifie le nombre «un», elle est utilisée dans le dialecte djidjelien et dans d'autres dialectes préhilaliens comme le tlemcenien, et le plus souvent le "a" n'est pas prononcé pour faire la liaison, exemples: ḥ'errajel : un homme , ḥ'emmra : une femme , ḥ'el khedma : un travail, ..etc.
- La particule "d" signifie "c'est" ou "ce sont", elle sert à introduire une personne ou un objet, elle est issue du Berbère Kabyle où elle est prononcée "dh" (ﺫ) mais avec la prononciation djidjelienne c'est devenu un "d" (ﺩ), exemples: aw d ana : c'est moi, aw d Hakim : c'est Hakim, ay d ḥ'ebblad : c'est un pays, etc.
- La particule "di" signifie "de", elle exprime la propriété, elle est probablement un diminutif de "dial", préposition qui exprime la propriété dans la plupart des dialectes préhilaliens et les anciens dialectes citadins; à Jijel "dial" n'est utilisé que pour dire "le mien" "le tien".etc. (diali, dialek, dialhem..etc) pour le reste c'est "di" qui est utilisé. Exemples: eddar di baba : la maison de mon père, ettriq di Bjayya : la route de Béjaia ..., une deuxième hypothèse donne à ce "di" une origine italienne, puisque la région a longtemps été sous l'influence des républiques maritimes italiennes (Pise et Gênes).
6- Quelques exemples de mots berbères
Akayess, Assalal, Afoulez, Azremtiwen, Addis, AchaƐchouƐ, Agheryan, Aghenja, yed’hem, herres, tabsi, Ɛssas, chlaghem, charef, fertas, guezzana, guerbi, hallouf, mach’hah, Ɛkaaz, hetref, kelleh, Ɛggoun, bekkouch, hawèss, neguezz, berra, boufekrène, bellarèj…
7- Des mots d’origine italienne :
- Etjarnite : Giornatta – journée, qui veut dire le travail journalier
- Ezzabla : la sbaglia ou faute
- Ekmedja : Camigia ou chemise
- Le préfixe « Di » comme la casa DE mi padre ou Eddar Di baba (maison de mon père)
- Esskala : la scala ou escale/port
8- Des mots d’origine espagnole :
- Bhouhou : El buha (le « u » se prononce « ou » en espagnol), le hibou
- Babaghayou : la pagayo ou le perroquet
9- Des mots d’origine turque :
- El lamba : lamba ou la lampe
- Bachmak : pasmak (le « s » se prononce « Ch ») ou les claquettes